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Témoignage de Marie Descourtieux

POUR NADIA
1er août 2016

Je remercie mon amie Caroline Boidé, qui avait rencontré Nadia, et qui est là avec nous aujourd’hui, de m’avoir prêté ses mots.

Que te dire, ma douce amie, ma solaire, que nous ne nous soyons déjà dit ? Pourquoi ajouter des mots ?
Parce qu’avec eux tu plantais ta vie, parce que l’écriture était ta palpitation. Voilà pourquoi.
Parce qu’en plus d’Ava, l’écriture donnait sens à ta vie et tissait des liens par delà les pages.
Là, précisément, où nous nous sommes rencontrées il y a quatorze ans.

Une rencontre scellée autour de l’éclat de ta première création qui portait, comme un délicieux présage, le prénom de ta fille, c’était Solo d’Ava à l’harmonie municipale de Saint-Denis, un soir glacial de décembre 2002.
Je ne te connaissais pas mais ton écriture m’a saisie. Sa sensualité, son humour, son urgence, sa cruelle lucidité. Je t’ai dit ce jour là ce qu’on dit à quelqu’un qui débute et qui nous touche profondément.

Parce que tu avais un talent fou et l’âme haute, Claire David des éditions Actes Sud à qui j’ai envoyé ton texte, t’a publié sans attendre.
Tu as mis en scène tes propres pièces de théâtre au théâtre Paris Villette, au Théâtre de la Ville ; des pièces à partir desquelles tu composais de petites formes destinées à des bibliothèques, à des lieux de proximité dont tu aimais l’accueil.

La plupart de tes textes part d’un fait divers. Dans cette démarche, je reconnais ton goût pour la réalité crue, celle qui est à regarder bien en face et à ne surtout pas passer sous silence, mais aussi ta gourmandise de la vie quotidienne érigée chez toi en art de vivre.
Les éruptions chantées de tes spectacles et ton amour du kitch étaient autant de jets de vie que tu projetais sur le monde pour le colorer.
Huit pièces de théâtre d’une très grande densité seront ainsi publiées chez Actes Sud.

L’étendue de tes talents était telle que ton écriture s’amusa de multiples pas de côtés : l’écriture dramaturgique d’abord auprès de la chorégraphe Joëlle Bouvier, et puis l’écriture de scénario où ton humour s’exprimait à plein. Me trouvant moi aussi à rejoindre les univers de la danse et du cinéma, j’ai eu l’immense chance d’accompagner les belles arabesques de ton chemin artistique.

Récemment, tu as repris tes études à l’Université Paris Dauphine, en gestion des industries culturelles. Sortie major de ta promotion, comment imaginer moins de toi qui étais taillée pour bâtir en grand ?
Ta compagnie, la mise en scène, ç’en était fini. D’autres territoires étaient à présent à explorer.
Mais tu n’as jamais quitté l’écriture car c’était ta manière d’être au monde.

L’écrivain Florence Delay qui fut ton professeur l’avait pressentie à tes débuts. Elle qui ne cessera jamais de te porter en écriture.

Les ateliers d’écriture te gonflaient le cœur de joie. Récemment, tu avais imaginé organiser des jeux de piste dans Paris car tu aimais le partage et la vie qui s’offrent jusque dans les interstices de notre humanité, et peu importe s’ils voisinent nos espaces plus sombres. Tout devait s’offrir à la lumière pourvu que ça nous permette de voir plus clair et plus loin.

Ton regard sur ton écriture et sur ton art était toujours exigeant, aiguisé. Tes mots ne s’épargnaient rien, ils allaient jusqu’à regarder la mort droit dans les yeux et à se frayer un chemin à travers l’opaque.

Des chimio qui bastonnent, m’écrivais-tu. Une traversée aride.
Tu parvenais à faire le tour de certains mots pour trouver à en rire. Folfini, par exemple, un traitement médical dont le nom t’amusait beaucoup.
Tu parlais d’une victoire de cogneuse quand je remportais un match de tennis mais c’était toi la castagneuse, la téméraire lucide divinement incarnée.
Les derniers temps, tu te vivais sur un fil mais n’abdiquais pas et savais reconnaître une matinée qui commençait bien.

La maladie est une épreuve de solitude mais seule on est rien, m’écrivais-tu encore. Voilà sans doute où ta vie s’est tissée, dans ce lien obstiné à l’autre pour inventer, transmettre et insuffler la vie.

Notre amitié avait pour socle ton écriture et les questionnements d’artiste et de femme au monde qu’elle charriait avec elle. Tu m’as remplie et aidée dans ma propre marche par ta quête ininterrompue de sens, par le partage pendant quatorze ans de tes recherches et de ta profondeur.

Est-ce que je suis quelqu’un qui mérite un faire-part dans un journal ? m’as-tu demandé lors de notre dernière rencontre à Gustave Roussy.

Non seulement tu mérites un faire-part, Nadia, mais tu mérites que tous tes textes, beaucoup plus vastes qu’un faire-part, existent, qu’ils soient lus, partagés et montés par des metteurs qui sauront s’en emparer. Car l’urgence vitale qu’ils portent en eux éclaire notre présent.
Elle t’était douce, cette pensée, qu’après ton départ, d’autres feraient leur chemin avec ton œuvre. Et de savoir que toi, Nadia, tu avais laissé pour toujours cette belle empreinte.

Ava est ta trace magnifique et vivante. Ava palpitait en toi. Tu écrivais avec Ava, je le décelais dans ton écriture.
Pour que tu sois complète dans nos mémoires, Nadia, il y aura Ava et il y aura les pièces de théâtre que tu nous as laissées, gravées pour toujours contre le temps.